La reine de Naples, sa très chère soeur
Parmi tous les frères et soeurs de Marie Antoinette, Marie Caroline occupe une place particulière. Née à Vienne, le 13 août 1752, elle était de trois ans son aînée, rôle qu'elle prenait visiblement très à coeur. Les deux enfants étaient fort proches et, par la suite, le restèrent en dépit de la séparation, tant et si bien que Caroline ne se remit jamais de l'exécution d'Antoinette.
Les deux petites archiduchesses ont grandi ensemble, partageant jeux et secrets. Leur air de famille était si fort qu'il en devenait presque gémellaire. Dans leur vie de femmes et de reines aussi, le parallélisme semble se poursuivre, toutes deux un mari qu'elles dominent, dit-on, toutes deux un favori servant leur politique, une favorite qui fait scandale, une peintre attitrée, un jardin anglais, l'amour des arts et de la beauté... Jusqu'où pouvons-nous pousser la comparaison ? Pour tenter de le découvrir, replongeons-nous dans la vie mouvementée de Maria Carlotta.
Marie Caroline n'a pas joui auprès des écrivains du succès de sa soeur. Il existe une biographie qui lui est consacrée: Michel LACOUR-GAYET, Marie-Caroline, reine de Naples, Une adversaire de Napoléon, Tallandier, 199, ainsi qu'un ouvrage très ancien et très à charge, qui offre de nombreuses lettres de la reine: Albert GAGNIERE, La reine Marie-Caroline de Naples, Lady Hamilton et Nelson, Ollendorf, 1886
Pour le reste, Marie Caroline est envisagée dans des livres de séries:
Cyrille BOULAY, Reines dans la tourmente, Marie Caroline, reine de Naples, une ennemie pour Napoléon, pp 47-82, le Pré aux Clercs, 2004.
Princesse Michael de KENT, Ces reines venues d'ailleurs, Marie Caroline, pp 105-128.
D'intéressants renseignements peuvent être trouvés dans les ouvrages consacrés à Emma Hamilton: Gilbert SINOUE, l'Ambassadrice, Poche, 2003; Monique de HUERTAS, Lady Hamilton, Perrin, 1993.
Treizième enfant de l’impératrice Marie Thérèse, Maria Carlotta était fort proche de sa petite sœur Maria Antonia. On l’appelait Charlotte. Ensemble, elles ont joué dans les allées ensoleillées du parc de Schönbrunn sous la surveillance de leurs ayas et suivi l’enseignement de la trop douce Madame de Brandeiss. Charlotte veillait avec un soin autoritaire sur sa cadette, comme si elle s’était sentie investie en quelque sorte de la mission de la protéger. Un sentiment qui ne la quittera jamais, comme nous le verrons plus tard.
C’est à la mort prématurée de deux de ses sœurs qu’elle doit son mariage avec Ferdinand de Naples. Le jeune homme a choisi sa miniature, la nouvelle atterre Charlotte à tel point qu’elle aurait préféré être jetée à la mer ! Comme ce sera plus tard le cas pour Marie Antoinette, le mariage de celle qui va devenir Marie Caroline a lieu à Vienne par procuration le 7 avril 1768.
Marie Caroline enfant par Liotard
Bella gerant alii, tu felix Austria nube… voici donc la petite Caroline, à 16 ans à peine, embarquée pour un pays qu’elle ne connaît pas, mais dont la culture est bien loin de la douceur de vivre de Vienne. D’emblée, son mari la déçoit. Il lui paraît rude et peu doué pour l’art de la conversation. De son côté, il ne semble pas plus intéressé par sa jeune épouse, si bien que Caroline écrira à Madame de Lerchenfeld, la nouvelle gouvernante, qu’elle est désespérée et qu’elle nourrit les pires craintes pour l’avenir de sa chère Antoine. C’est un véritable désespoir ; on souffre le pire des martyres et on doit faire semblant d’être heureuse. Elle n’oubliera pas de demander que soient transmises ses pensées à sa sœur, qu’elle aime extraordinairement . Malgré la distance, elle continue de s’intéresser à sa petite Antoine et de veiller sur elle.
Peu encourageant endroit que cette cour de Naples… Ferdinand se conduit comme un ours, un pauvre diable, dira Acton, la nature ne l’ayant pas doté des facultés nécessaires pour devenir mauvais homme. Jusqu’à ce que le jeune roi atteigne ses 16 ans, les rênes du royaume étaient restées entre les mains de Bernardo Tanucci et de Domenico Cattaneo, et, à l’arrivée de Caroline, le pouvoir du premier est toujours énorme.
On est bien loin du raffinement de Vienne. Une grande partie de la population napolitaine est très pauvre, et la cour elle-même offre de surprenants aspects, comme le constatera Joseph II: Le palais de Naples contient 5 ou 6 salles ornées de fresques et de marbre, emplies de volailles, de pigeons, de canards, d’oies, de perdrix, de cailles, d’oiseaux de toutes sortes, de canaris, de chiens et même de cages contenant des rats et des souris, ouvertes, de temps en temps, par le roi, pour le plaisir de la chasse.
Marie Caroline, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, entreprend alors la conquête de son mari. Elle ne manque pas d’arguments, selon lady Anne Miller : elle a le teint ravissant, les cheveux châtain clair et soyeux et les sourcils plus foncés, de grands yeux brillants d’un bleu profond, un nez plutôt aquilin, une bouche petite aux dents blanches et régulières, avec des lèvres très rouges qui n’ont pas la lourdeur de celles des Autrichiennes, un sourire creusant d’agréables fossettes. Elle est juste assez bien en chair pour ne pas paraître maigre ; son cou est long, son maintien plein d’aisance, sa démarche majestueuse et ses gestes gracieux.
Marie Caroline, par Johan Georg Weikert, vers 1770
Son allure aura l’heur de satisfaire son frère Joseph lors de sa visite, il ne la trouvera ni coquette, ni frivole. Tout au plus déplorera-t-il les expressions napolitaines qu’elle emploie à présent, et qui rendent son italien moins pur. Peut-être ce langage témoignait-il du souci de la reine de s’intégrer à son nouvel environnement?
S’intégrer, certes, mais surtout réformer à sa manière l’austère cour encore marquée par l’influence de Tanucci. Pour ce faire, la reine assouplit l’étiquette. Elle introduit aussi des usages autrichiens, comme cette habitude de servir le café sur des petites tables agréablement disséminées.
Comme à ses autres filles, Marie Thérèse avait recommandé à Charlotte de rester autrichienne de cœur. Une promesse que celle-ci n’oubliera jamais, se plaisant à favoriser ses compatriotes parmi les artistes et à parler allemand dans ses antichambres.
Bientôt, sa politique de séduction portera ses fruits : en 1772, elle accouche d’une petite fille, nommée comme il se doit Marie Thérèse. Un garçon eût toutefois comblé ses vœux : elle aurait pu alors assister au conseil d’Etat car, à la différence de sa sœur Antoinette, son contrat de mariage prévoit cette clause. Et Caroline est très ambitieuse…
En 1775, Caroline fera son entrée officielle en politique. Son grand écueuil est de contrer l'influence de son beau-père, qui prétend gouverner Naples depuis l'Espagne.
Le peuple est heureux et chante les louanges du gouvernement paternel de Ferdinand, alors qu’en fait, il est de plus en plus dirigé par sa femme. C’est la période faste du carnaval autrichien après le carême espagnol…
Le triomphe de Marie Caroline sera complet en 1777, lorsqu'elle parviendra à soustraire son mari à l’étau de Tanucci. Alors, Ferdinand, de naturel plutôt faible, s’en remettra entièrement à son épouse.
Entre 1772 et 1793, Caroline mettra en effet au monde 18 enfants. Ils feront à la fois son bonheur et son malheur... Sa joie, parce qu'elle veille sur leur éducation avec beaucoup d'intérêt. Mais sa souffrance, aussi, parce que, sur 18, 7 seulement survivront. Les autres seront arrachés à son affection, parfois dans des circonstances affreuses. Comme sa mère, elle se servira aussi de mariages pour cimenter ses alliances diplomatiques.
La famille royale de Naples par Angelica Kauffman
Maintenant débarrassée du joug espagnol, Marie Caroline peut mettre en avant les intérêts de la maison d'Autriche. Pour réorganiser sa marine, elle se tourne vers son frère Léopold, qui lui envoie Lord Acton. Bien vite, les prérogatives d'Acton déborderont sur le domaine intime et il deviendra le confident et le favori de la reine.
En 1790, après l'avènement de Léopold II, un triple mariage unit les maisons d'Autriche et de Naples. Marie Caroline vit alors le bonheur nostalgique de retourner à Vienne et de passer 8 mois sur les lieux de son enfance.
Mais, précisément, les nouvelles qu'elle reçoit de sa soeur adorée sont de plus en plus inquiétantes. De retour en Italie, elle apprend l'arrestation de la famille royale à Varennes. Les émigrés affluent de France, elle leur ouvre grand les portes, ne ménageant pas les moyens pour les bien recevoir. Avec eux arrivent des rumeurs chaque jour plus alarmantes.
Marie Caroline par Elisabeth Vigée Lebrun, 1790
Marie Caroline s'est liée d'amitié avec l'ambassadeur d'Angleterre, William Hamilton. Lorsqu'il épouse la ravissante Emma Hart, les deux femmes ne tardent pas à devenir inséparables et Emma rend d'immenses services à la reine : elle devient agent de liaison entre Naples et Paris. De cet infernal Paris, j'apprends d'horribles détails, dira ainsi la reine, à tout instant, quelque bruit ou cri qu'elle entende, et chaque fois qu'ils entrent dans sa chambre, ma pauvre soeur s'agenouille, prie et se prépare à mourir. Les brutes inhumaines (...) nuit et jour (...) hurlent afin de l'épouvanter et de lui faire craindre mille fois la mort. C'est la seule chose que l'on puisse souhaiter à cette malheureuse âme, et je prie Dieu de la lui envoyer afin de mettre un terme à ses souffrances.
Désespérée, Caroline ne trouve le repos que dans la prière... et dans les espoirs de revanche. Elle réunit ses enfants autour du portrait de la chère disparue et prononce devant eux ce serment : Je jure de poursuivre ma vengeance jusqu'à ma mort. Elle vivra dans la haine de la république française.
Les Français, la reine ne va pas tarder à en voir de plus près. Avec les émigrés, une vague avaient apporté des jacobins fuyant la Terreur. Ce groupuscule s'alliera rapidement aux réformateurs italiens. Parmi eux se trouvent des francs-maçons, ceux pour la liberté desquels Marie Caroline avait tant bataillé, et qui vont maintenant oeuvrer contre leur ancienne bienfaitrice.
bibliothèque maçonnique de Caroline
La reine, paniquée, a signé un traité d'alliance avec l'Angleterre. Bientôt, la présence de la flotte de l'amiral Nelson la rassure. L'insurrection est matée à Naples, mais, dans le reste de l'Italie, Napoléon remporte de sérieuses victoires contre les Autrichiens.
Le 17 octobre 1797, l'Autriche signe un traité avec la jeune république française. Marie Caroline est outrée : Je ne suis pas, et jamais je ne serai en bon termes avec les Français. Je les regarderai toujours comme les assassins de ma soeur et de la famille royale.
En 1798, Caroline et Nelson poussent Ferdinand IV à engager Naples dans une guerre contre les Français. Ca tourne à la ctastrophe et Caroline tremble de subir le même sort que sa soeur. Malgré l'appel à la résistance que lance Ferdinand, la famille royale doit se résigner à l'exil. Une trentaine de vaisseaux, portant deux mille personnes, cingle vers la Sicile. Pendant la traversée, une tornade se déclare, semant la panique. Un des enfants de Caroline, Albert, âgé de 7 ans, meurt dans d'atroces convulsions.
Pendant que la famille royale s'installe dans l'hostile palais Colli de Palerme, à Naples règnent le chaos et la confusion. Les troupes françaises et des groupes de Napolitains proclament la République pathénopéenne. Marie Caroline rêve de retourner et de prendre les armes, mais elle est trop affaiblie.
Et puis, miracle pour les monarchistes, un homme, le cardinal Fabrice Ruffo, parvient à reconquérir Naples à la cause royale. Le 13 juin 1799, la ville est libérée. Mais les représailles seront terribles: des massacres sont perpétrés et bon nombre de partisans républicains exécutés. Au milieu de cette vague d'inflexible manque de pitié, de nouveaux deuils et départs accablent Caroline. Alors que toute la ville est à reconstruire, elle perd les Hamilton, rappelés en Angleterre.
Le 2 décembre 1804 a lieu le sacre de Bonaparte. Marie Caroline le craint comme la peste. N'a-t-il pas juré de déloger les Habsbourg et les Bourbons d'Italie ? Aveuglée par sa haine, elle délaisse les négociations avec le petit Corse et préfère risquer sa couronne en entrant avec l'Angleterre, l'Autriche et la Russie dans la coalition formée contre l'empereur des Français.
Déjà ébranlée par la perte de sa soeur, qui lui avait donné le premier coup, Marie Caroline s'abîme dans l'obsession. Obnubilée par la volonté de recouvrer son trône, elle inonde l'Europe de lettres suppliantes et revendicatrices. Une blessure fatale lui est infligée lorsque sa petite fille Marie Louise épouse l'empereur des Français. Le sang de la grande Marie Thérèse uni à celui d'un tyran issu de nulle part ? C'est plus qu'elle n'en peut supporter !
Brisée par ces échecs politiques et les deuils répétés, elle voit sa santé se dégrader et cherche l'apaisement dans l'opium. En 1812, incapable de la supporter davantage, son mari décide de se séparer d'elle et l'embarque de force. Harrassée par un interminable voyage, elle aboutit à Vienne, où on lui fait grise mine. Je verrai bien si l'on ose chasser de Schönbrunn la dernière fille de Marie Thérèse, riposte-t-elle.
Après vingt ans d'angoisse, Charlotte voit enfin la chute de l'empire napoléonien. Ceux qu'elle considère comme des usurpateurs sont chassés de Naples, et les Bourbons peuvent reprendre leur place. Mais la pauvre femme ne goûtera pas cette ultime joie. Le 7 septembre 1814, elle se couche épuisée. Peu après minuit, son domestique est réveillé en catastrophe: la vieille reine s'est endormie à jamais, la main crispée sur la sonnette du dernier secours.
Comment, après n'avoir, durant une année entière, que trop parlé de cette évasion, est-elle si mal concertée, exécutée, et sans une personne ferme et sûre pour les faire passer coûte que coûte ?
(passage cité par Françoise Kermina, in Fersen, Perrin, 2001, p. 185)
De même, Marie Caroline, après la mort de sa soeur, s'exprimera par l'intermédiaire d'Armfelt, ministre de Suède à Naples:
La Reine (Marie Caroline, donc), avait déjà l'imprimé du procès de sa soeur, mais les détails de sa prison ne lui étaient pas connus. Elle m'a chargé de mille choses pour vous, mon cher comte (Fersen), reconnaissant avec sensibilité les expressions de l'attachement que vous avez voué à son infortunée soeur. Ce sont ses propres mots.
(passage cité par Charles Kunstler in Fersen et son secret, Hachette, 1947, p. 298)
Ces deux petits extraits montrent bien la part que Caroline prenait aux affaires de sa soeur. Peut-être lui donnait-elle des conseils, des avis ? Lui confiait-elle, elle aussi ses projets ?
Dans un domaine moins essentiel et moins tragique, sans doute se sont-elles décrit mutuellement les jardins anglais que chacune faisait construire ? Ou Marie Caroline a-t-elle parlé à Marie Antoinette de cette salle de bain si raffinée qu'elle ferait installer à Caserte ?
Etaient-elles si proches, ces deux âmes soeurs, qu'elles auraient développé à distance les mêmes goûts et les mêmes manières de vivre? Même genre de maris, de favoris, de favorites, de boudoirs, parcs et peintures? Le parallélisme est séduisant, mais pas vraiment pertinent, comme nous allons bientôt le voir...
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