et si marie antoinette...

et si marie antoinette...

Description de la reine de France

 

 

Marie Antoinette était-elle grande? Petite? Mince? Belle? Voilà bien une question épineuse... D'abord, la subjectivité intervient pour beaucoup. Ensuite, les goûts d'une époque ne sont pas ceux d'une autre. Ce qui plaisait au XVIIIe siècle ne remportera pas forcément nos suffrages. Que penser, par exemple, de son 109 de tour de poitrine pour 58 de taille? Qu'elle avait la silhouette vraiment très en sablier et le décolleté plus avantageux encore que ne le montrent les tableaux... ou que les mensurations consignées par sa dame d'atour ne correspondent pas à nos mesures actuelles?

 

Enfin, et sans doute surtout, Marie Antoinette était reine, et à ce titre sujette à la flagornerie et située à une distance peu propice aux descriptions pertinentes. Pour certains contemporains, la reine est d'office magnifique en raison de sa fonction, d'autres se montrent soucieux d'insister sur les stigmates de ses malheurs pour défendre la mémoire de la martyre. Pour d'autres encore, le but sera de l'enlaidir pour l'avilir. 

 

Bref, difficile de répondre... 

 

Mais je vais essayer quand même... A travers les récits, images et sculptures, il est possible de repérer et de lister des points récurrents. Un travail tout à fait passionnant... Parmi les témoignages qui ont été recueillis au cours des années, je m'attacherai essentiellement aux impressions laissées par des gens qui ont réellement approché Marie Antoinette.

 

Et qui était mieux placé que sa portraitiste ? Non seulement, Elisabeth Vigée Lebrun avait l'oeil exercé, déformation professionnelle dirons-nous, mais elle connut aussi réellement Marie Antoinette dans son intimité quotidienne, la vit bouger, chanter, rire... Voici ce qu'elle rapporte dans ses mémoires:

 

C'est en l'année 1779... que j'ai fait pour la première fois le portrait de la reine, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Marie-Antoinette était grande, admirablement bien faite, assez grasse sans l'être trop. Ses bras étaient superbes, ses mains petites, parfaites de forme, et ses pieds charmants. Elle était la femme de France qui marchait le mieux; portant la tête fort élevée, avec une majesté qui faisait reconnaître la souveraine au milieu de toute sa cour, sans pourtant que cette majesté nuisît en rien à tout ce que son aspect avait de doux et de bienveillant. Enfin, il est très difficile de donner à qui n'a pas vu la reine une idée de tant de grâces et de tant de noblesse réunies. Ses traits n'étaient point réguliers, elle tenait de sa famille cet ovale long et étroit particulier à la nation autrichienne. Elle n'avait point de grands yeux; leur couleur était presque bleue; son regard était spirituel et doux, son nez fin et joli, sa bouche pas trop grande, quoique les lèvres fussent un peu fortes. Mais ce qu'il y avait de plus remarquable dans son visage, c'était l'éclat de son teint. Je n'en ai jamais vu d'aussi brillant, et brillant est le mot; car sa peau était si transparente qu'elle ne prenait point d'ombre. Aussi ne pouvais-je en rendre l'effet à mon gré: les couleurs me manquaient pour peindre cette fraîcheur, ces tons si fins qui n'appartenaient qu'à cette charmante figure et que je n'ai retrouvés chez aucune autre femme.

 

À la première séance, l'air imposant de la reine m'intimida d'abord prodigieusement; mais S. M. me parla avec tant de bonté que sa grâce si bienveillante dissipa bientôt cette impression. C'est alors que je fis le portrait qui la représente avec un grand panier, vêtue d'une robe de satin et tenant une rose à la main. Ce portrait était destiné à son frère, l'empereur Joseph II, et la reine m'en ordonna deux copies: l'une pour l'impératrice de Russie, l'autre pour ses appartements de Versailles ou de Fontainebleau.

 

Ce grand portrait en pied n'était pas à l'origine destiné à Joseph II, mais à l'Impératrice elle-même, qui désirait ardemment posséder les traits de sa fille, partie de Vienne tout enfant. Dès qu'elle eut la toile, Marie-Thérèse écrivit à Antoinette: Votre grand portrait fait mes délices. Ligne a trouvé de la ressemblance, mais il me suffit qu'il représente votre figure, de laquelle je suis bien contente. 

 

Ah... L'artiste aurait, selon l'expression de Marie Antoinette, attrapé sa ressemblance? Voilà qui nous intéresse au plus haut point ! Observons-le donc de plus près :

 

 

détail du portrait de 1778

http://maria-antonia.justgoo.com/t1252p15-portrait-de-la-reine-1778

 

 

Visage allongé, cheveux blonds à châtain, teint pâle avec des rougeurs aux joues (accentuées par le fard, vraisemblablement), front haut et bombé, sourcils à l'arc parfait, yeux plus bleus que gris, grands et saillants, nez imposant, aquilin et un peu accidenté, bouche petite et charnue, à la lèvre inférieure plus épaisse, fossette au menton. Bien que peut-être idéalisés par l'affection et l'obligation, ces traits se retrouveront dans d'autres témoignages écrits et picturaux. 

 

Mais il y a plus dans les souvenirs de Madame Vigée le Brun. Ce n'est plus vraiment du détail physique à proprement parler, mais une question d'allure générale. Et nous touchons là à l'essence même de l'apparence et de la perception: pour décrire et reconnaître un être, nous avons besoin de cerner ses expressions et de le voir en mouvement.

 

Lors du dernier voyage qui s'est fait à Fontainebleau, où la cour suivant l'usage devait être en grande représentation, je m'y rendis pour jouir de ce spectacle. J'y vis la reine dans la plus grande parure, couverte de diamants, et, comme un magnifique soleil l'éclairait, elle me parut vraiment éblouissante. Sa tête élevée sur son beau col grec lui donnait, en marchant, un air si imposant, si majestueux, que l'on croyait voir une déesse au milieu de ses nymphes. Pendant la première séance que j'eus de S. M. au retour de ce voyage, je me permis de parler de l'impression que j'avais reçue, et de dire à la reine combien l'élévation de sa tête ajoutait à la noblesse de son aspect. Elle me répondit d'un ton de plaisanterie: "Si je n'étais pas reine, on dirait que j'ai l'air insolent, n'est-il pas vrai?"

 

Donnée objective: Marie Antoinette avait un long cou. Petite parenthèse, maintenant: j'adore cet extrait, d'abord parce qu'il met en évidence la fierté, dignité, orgueil, arrogance... tout ce que vous voudrez mais qui constitue la base même du caractère de Marie Antoinette et qui lui permettra d'endurer jusqu'à la lie sans baisser la tête les pires souffrances et humiliations. Ensuite parce qu'il révèle aussi le second degré dont la reine était coutumière, cette capacité de distanciation pleine d'esprit qui, elle aussi, l'accompagnera jusqu'à la fin. 

 

Arrêtons-nous également à la description que nous donne le comte Alexandre de Tilly, a priori tout aussi fiable, puisque son auteur, page de la reine, la voyait très souvent.

 

J’ai beaucoup entendu parler de la beauté de cette princesse; et j’avoue que je n’ai jamais absolument partagé cette opinion; mais elle avait ce qui vaut mieux sur le trône que la beauté parfaite, la figure d’une reine de France, même dans les instants où elle cherchait le plus à ne paraître qu’une jolie femme. Elle avait des yeux qui n’étaient pas beaux, mais qui prenaient tous les caractères; la bienveillance ou l’aversion se peignaient dans ce regard plus singulièrement que je ne l’ai rencontré ailleurs; je ne suis pas bien sûr que son nez fût celui de son visage. 


Sa bouche était décidément désagréable; cette lèvre épaisse, avancée, et quelquefois tombante, a été citée comme donnant à sa physionomie un signe noble et distinctif; elle n’eût pu servir qu’à peindre la colère et l’indignation, et ce n’est pas là l’expression habituelle de la beauté; sa peau était admirable, ses épaules et son cou l’étaient aussi; la poitrine un peu trop pleine, et la taille eût pu être plus élégante; je n’ai plus revu d’aussi beaux bras et d’aussi belles mains.


Elle avait deux espèces de démarches, l’une ferme, un peu pressée, l’autre plus molle et plus balancée, je dirais presque même caressante, mais n’inspirant pourtant pas l’oubli du respect. On n’a jamais fait la révérence avec tant de grâce, saluant dix personnes en se ployant une seule fois, et donnant, de la tête et du regard, à chacun ce qui lui revenait…


En un mot, si je ne me trompe, comme on offre une chaise aux autres femmes, on aurait presque toujours voulu lui approcher un trône.

 

J'ai un peu de mal, je l'avoue, avec le ton de Monsieur de Tilly. Je ne peux me défendre de la désagréable impression que ces traits sont autant de flèches enrubannées. En voulait-il à la reine de l'avoir réprimandé? Ou cherchait-il seulement à placer de bons mots? Toujours est-il que, dégagé du fiel, le compte-rendu reste à peu près le même: des yeux et un nez qui retiennent l'attention, une lèvre inférieure trop épaisse, une carnation superbe et cette allure absolument royale. A ces constantes s'ajoutent de nouveaux renseignements: une poitrine un peu trop pleine et une taille qui manque de finesse. Beaucoup de grâce, aussi. 

 

Tout égratignant qu'il soit, l'ensemble de ce récit m'évoque irrésistiblement le portrait peint par Joseph Boze en 1785:

 

 

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Marie-Antoinette_Boze.jpg

 

 

Je trouve que ce tableau correspond tout à fait au sentiment que Tilly fait passer. La reine m'y a toujours fait penser à une figure de proue, noble, le buste presque projeté, le regard porté au loin, perçant l'horizon... Pourtant, l'artiste n'avait pas eu droit à la moindre séance de pose. Il a dû réaliser son travail d'après d'autres oeuvres. En tout cas, il a été inspiré ! Peut-être par ce buste sculpté par Louis Simon Boizot en 1781?

 

 

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Marie-Antoinette_Boizot_Louvre_RF4515.jpg

 

 

Ici, nous avons la 3D! Nous pouvons tourner autour de la statue et constater que les traits récurrents s'y trouvent bien représentés, tant dans la physionomie que pour l'attitude. Il me semble dès lors inadéquat de parler de beauté, dans le sens classique du terme... du moins si l'on se réfère aux canons et proportions en vigueur dans notre culture depuis l'Antiquité. Le front est trop bombé, le visage trop allongé, les yeux trop saillants, le nez trop fort et la lèvre inférieure trop avancée. 

 

Bon... En dépit de cette débauche de trop, elle me paraît sublime... Peut-être même à cause de ces démesures, où je retrouve les plus infimes détails de cette personnalité qui a su me toucher. N'est-ce pas ça, au fond, la beauté? La capacité qu'ont certains visages à émouvoir les autres? 



21/01/2014
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