La voix de Didon - Françoise Raucourt
Comme je vous le disais, la reine Didon est liée à plus d'un titre à notre reine à nous. Didon, c'est la fondatrice de Carthage, Elissa de son vrai nom, dont Virgile a fait une figure de tragédie en la faisant rencontrer et aimer son héros, Enée. Hélas, comme le destin voulait qu'Enée allât fonder la souche romaine en Italie, la pauvre Didon fut abandonnée et ne trouva l'apaisement que dans le suicide.
Histoire magnifique mais reposant sur un anachronisme, puisque ces deux personnages vivaient en réalité à des siècles différents. C'est pourtant à ce téléscopage entre deux périodes et deux civilisations antagonistes, Rome et Carthage, que nous devons des oeuvres inspirées comme celles de Purcell, Piccini, Guérin, Cayot, Turner... pour ne citer qu'eux.
Auguste Cayot – Mort de Didon 1711
Un premier lien entre les reines de Carthage et de France se situerait peut-être ici: le latin figurait au programme de notre archiduchesse. Ca ne veut pas dire bien entendu qu'elle ait traduit le livre IV de l'Enéide... mais c'est fort possible tout de même.
Toujours est-il qu'une autre rencontre eut lieu, attestée celle-ci, en 1772, lorsque Françoise Raucourt triompha dans le rôle de Didon, de la tragédie de Le Franc de Pompignan.
Laissons Emile Gaboriau nous la raconter avec toute la verve qu'il met dans son livre consacré aux comédiennes adorées...
Après la ville, la cour. Pour être plus discret qu'à Paris le succès de mademoiselle Raucourt à Versailles ne fut pas moins grand. «Le roi, dit Bachaumont, a fait à mademoiselle de Raucourt la faveur de rester à la Comédie tout le temps de la représentation de Didon, où elle jouait. Cette circonstance a été d'autant plus remarquée que Sa Majesté n'aime point le spectacle en général et surtout la tragédie.» Louis XV, en effet, avait été ébloui tout comme ses sujets. Le spectacle terminé, il voulut présenter la belle tragédienne à Madame la Dauphine. — «Voici, lui dit-il, la reine Didon.»
Mademoiselle Raucourt
Mais qui est donc cette Madamoiselle Raucourt qui émut tout Paris?
Françoise Marie Antoinette Saucerotte est née le 3 mars 1756, d'un père acteur qui, déçu par sa propre carrière, a lancé sa fille dans le métier dans l'espoir qu'elle y réussirait mieux que lui.
Elle a débuté à 13 ans, sous la protection du prince de Turenne. C'est lui qui a suggéré qu'elle change son nom en Raucourt.
A 16 ans, elle débute à la comédie française, dans le rôle de Didon. C'est un triomphe. Parmi ses admirateurs se trouvent Madame du Barry et la petite dauphine Marie Antoinette.
Françoise mène une vie de bâton de chaise, ce qui l'amène à contracter des dettes et à fuir ses créanciers jusqu'en Allemagne ! Elle reviendra en France grâce à l'aide du prince de Ligne.
De retour à la comédie française, elle impressionne Louis XVI et surtout Marie Antoinette, qui devient sa bienfaitrice. C'est la reine en effet qui remédie à sa désastreuse situation financière.
par Pajou
Comme elle ne faisait pas mystère de son amour des femmes, Mademoiselle Raucourt fut accusée de faire partie de la Secte des Anandrynes, un fantasmatique complot contre les hommes.
Dès 1789, elle rejoint la contre-révolution, même si sa participation politique n'est pas clairement établie. En 1793, elle est arrêtée, avec d'autres membres de la comédie française, pour manque de loyauté aux principes de la révolution et pour intelligences avec des royalistes hors de France.
Le coup d'état du 9 thermidor la libère. Sous le Directoire, elle est nommée directrice du Théâtre Louvois. Napoléon lui confiera la gestion des scènes impériales en Italie. Elle quitte le théâtre en 1814 pour mourir en 1815. Elle laissait à sa compagne une rente et une propriété qui la mettaient à l'abri du besoin.
Beau personnage, entier et fidèle à ses convictions jusqu'au bout... et qui n'est pas, nous n'allons pas tarder à le voir, la seule incarnation de Didon dans la vie de Marie Antoinette...
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