et si marie antoinette...

et si marie antoinette...

Hans Axel von Fersen, l'homme qu'on voit partout

 

 

Un des problèmes majeurs, dans cette affaire Fersen, c'est la propension qu'ont les historiens (oui, oui, j'ai bien dit historiens, pas que les romanciers) à voir Fersen partout, jusque dans les endroits les plus improbables. Or, ce fersinocentrisme nuit considérablement à la crédibilité de leur propos.

 

Vous voulez un exemple? Il existe une lettre très émouvante que Marie Antoinette adresse à Madame de Polignac.  La reine y parle de ses enfants, de ceux de son amie, de sa mauvaise jambe, de ses craintes, de son chagrin... de cette impression qu'elle a de porter malheur à tous... Bref, une lettre très touchante... où certains veulent à toute force glisser Fersen. 

Et ça ne date pas d'hier! En 1970,  Philippe Huisman et Marguerite Jallut donnaient intégralement dans l'original cette lettre aux pages 214 et 215 de leur magnifique ouvrage, L'impossible bonheur. Et, déjà, ils avaient voulu voir le comte suédois dans le passage que voici:  

 

 

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Votre frere de valanciennes a ete exacte a envoyer votre lettre elle est aimable comme vous c'est tout dire, je l'ai vue, car apres trois mois de peine et de separation quoique dans le meme lieu la personne et moi somme parvenu a nous voir une fois surement vous nous connoissez toutes deux ainsi vous pouvez juger de notre bonheur, elle va faire une course chez votre frere, cela etoit necessaire, et j'avoue que j'ai preferé le moment du jour de l'an ou je crois que si il doit y avoir du mouvement icy on prendra ce moment je ne crains rien pour notre maison mais dans la ville il pourroit y avoir du train et j'aime a etre tranquille sur tout ce qui m'interesse. 

La légende précise : Dans cette lettre, un passage, rédigé par prudence à mots couverts, a trait à Fersen et à ses visites aux Tuileries. Marie Antoinette écrit cette lettre aux Tuileries, le 29 décembre 1790 ; elle l'a adressée à la duchesse de Polignac.

D'accord... Suspect  Je me demande cependant ce qui permet à ces auteurs d'être aussi affirmatifs. J'ai lu et relu mille fois cette lettre, c'est loin d'être aussi clair pour moi. Qui est cette personne? Un homme, une femme ? Qui est le frère de Valenciennes? Et c'est quoi, cette histoire de course et de jour de l'an? 

Madame Lever va un cran plus loin encore dans son édition de la correspondance de la reine.  Nous y trouvons une retranscription de cette lettre aux pages 500 et 501, assortie de deux notes explicatives selon lesquelles le frère de Valenciennes (note 2) serait peut-être un nom de code désignant le comte Valentin Esterhazy, alors commandant en second en Flandre et Hainaut, en garnison à Valenciennes. Quant à la mystérieuse personne, nous ne serons pas étonnés de lire qu'Evelyne Lever l'identifierait volontiers à Axel de Fersen (note3), qui avait pu passer la journée du 24 décembre seul avec la reine. 

Car, oui, c'est la raison pour laquelle Madame Lever date cette lettre de décembre 1789, alors que Monsieur Huisman et Madame Jallut la placent en décembre 1790. Ben tiens ! Faut bien qu'elle coincide avec ce que Fersen raconte à sa soeur, puisque Madame Lever tient tellement à ce que le comte et la reine aient passé toute la journée du 24 décembre ensemble !   

Hé hé... La reine, elle, s'est contentée de ceci;

 

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Pas la peine de se disputer cependant, les Girault de Coursac vont venir ramener tout ce petit monde à la raison. Voici en effet ce qu'ils rapportent dans le chapitre consacré à la relation entre la reine et Fersen dans leur Louis XVI et Marie Antoinette, vie conjugale - vie politique (pp 690-712). 

Jeudi 24, consigne le roi dans son journal, premières vêpres en haut, mâtines, trois messes et Laudes

Ce qui laisse peu de loisir, n'est-ce pas ?   

Fallait-il que Sophie Piper soit peu au fait des usages de la Cour pour que Fersen ose lui faire un si gros mensonge ! Cachottier, c'est vrai, aimant faire des mystères comme un vrai gamin, quitte à en rajouter une ou deux couches, l'Axel ! 

En résumé, les possibilités sont multiples. Par exemple, Fersen a passé toute la journée du 24 décembre avec une femme qui ne peut, matériellement être la reine. Ou bien il enfume sa soeur et a juste vu la reine le temps qu'elle a pu lui consacrer entre ses obligations religieuses.

Quant à la reine, rien ne dit que la personne dont elle parle à Madame de Polignac est forcément et à tous les coups Fersen. Il y avait beaucoup d'autres gens qu'elle aimait beaucoup, que Madame de Polignac connaissait également et qui, servant d'intermédiaires politiques, devaient être mentionnées à mots couverts. 

Cela dit, il n'est pas impossible que Marie Antoinette fasse une allusion au comte de Fersen, tout de même, dans cette lettre, mais ailleurs. Un peu plus haut, elle écrit en effet à Madame de Polignac : ses peines à soi celles de ses amies, et celles de tout ceux qui entoure, sont un poid trop fort a supporter, et si mon coeur ne tenoit pas par des liens aussi fort à mes enfants, vous, et a 2 amis que j'ai, souvent je desirerois succomber, mais vous autres me soutenez, je dois encore ce sentiment a votre amitié, mais moi je vous porte a tous malheur et et vos peines son pour moi et par moi.

 

 

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Autant Evelyne Lever que Philippe Huisman et Marguerite Jallut déchffrent deux fois amies, alors que la reine a très clairement écrit amies et ensuite amis, la différence est nette. Il n'est donc pas impossible que ce cher Fersen ait bien l'honneur d'être cité dans cette si belle lettre, parmi les amis de la reine. Peut-être bien... Who knows ?



26/02/2014
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